Sujet: Les silences de la nuit. [Solo] Mer 29 Avr - 22:30
Solo
Flashback
Les silences de la nuit.
La fraîcheur du crépuscule se déposait sur les toits. Sous son étreinte, la Ville sursautait d’un même mouvement, plongeant dans l’obscurité. Une foule grouillante se pressait vers les bâtiments d’argile, et l’écho des derniers échanges martelait leur passage. C’était chaque soir la même cérémonie : sitôt que le soleil s’effaçait, le vacarme redoublait avant de s’éteindre pieusement. Camouflée sous une couverture, Phoebe se frayait un chemin entre les passants. Ses maigres possessions reposeraient dans la Grande Maison, jusqu’à ce qu’un membre du clan suffisamment ingénieux les déniche. S’en éloigner lui nouait la gorge. Autour d’elle, une profusion de figures inconnues lui faisait tourner la tête. Vêtus de toiles chatoyantes ou usées par le temps, elles se mêlaient aux humains sans qu’elle puisse les distinguer. Quelquefois, un port altier passait tout près, et elle frissonnait de ce contact d’un autre monde. Il lui semblait que la cité se remplissait comme un puits sans fond. Allait-elle s’y précipiter ? Cela ne faisait aucun doute. Le jour de la noyade en revanche demeurait un mystère, et elle n’allait certainement pas le lever. Malgré son déguisement, la jeune femme sentait les regards inquiets de ses semblables glisser sur elle. La silhouette à ses côtés lui interdisait l’anonymat. Une étincelle de reproche s’imprima sur ses traits ; la résignation lui succéda aussitôt. Elle leva les yeux vers l’horizon. L’ombre du Palais surplombait les Jardins.
La silhouette de la Devineresse louvoyait habilement entre les ruelles. Connaître le chemin par cœur ne rendait pas le voyage plus facile. Une sensation étrange flottait dans sa tête, et la compression dans sa poitrine lui rappelait douloureusement la réalité. Un bâtiment l’attendait sagement à une intersection. Songeuse, elle grimpa à l’échelle qui lui faisait face. Ce serait sans doute la dernière fois. Sans réfléchir, elle enjamba les planches qui reliaient les maisons. Silencieuse, elle s’installa sur un rebord. Frissonnante, elle s’enveloppa tant bien que mal dans sa tunique ; l’air autour d’elle refroidissait de minute en minute. Un parfum de vanille lui chatouilla soudain le nez. « J’ai cru que tu ne viendrais pas. » Les boucles brunes de Hyacinthe se secouèrent avec désapprobation. Un soupçon d’amusement dans la voix, elle le dévisagea un instant. Les muscles de sa mâchoire se contractaient d’une façon inhabituelle. « T’aurais pu choisir quelqu’un d’autre. » Il était en colère. Le spectre n’eut aucune réaction. Le jeune homme prit place aux côtés de son amie. Malgré ses manières, le bleu profond de ses vêtements lui donnait une allure royale. De ses poches miraculeuses, il sortit une jarre et un paquet de douceurs. « Il y a quelque chose à fêter, n’est-ce pas ? » Un sourire s’invita sur les lèvres de Phoebe. Jamais il ne changerait. Sa spontanéité la rassurait.
Avec précaution, le brun défit les nœuds qui retenaient son butin du jour. Il lui avait fallu déjouer la vigilance d’un marchand particulièrement retors pour le récupérer, et l’ecchymose sur ses côtes lui rappelait la dangerosité de la manœuvre. « Alors, comment tu envisages la suite ? » Une ombre passa sur le visage de la jeune femme. Malgré le ton joyeux de son interlocuteur, ils savaient tous deux que l’insouciance s’éteignait ce soir. Elle n’avait aucune envie d’y penser. « Je suggère de boire toute la nuit, et de chanter à la gloire des voleurs. » Hyacinthe éclata de rire. D’un geste complice, elle s’empara de l’amphore. Le liquide glissait dans sa gorge avec la vivacité d’un serpent, et il lui sembla soudain qu’il cherchait à l’étouffer. Toussotant, elle éloigna le récipient. Une légère chaleur se coula au creux de son ventre. « J’aurais jamais cru que tu dirais ça un jour. Et dire que tu me traites de vaurien toute la journée ! » Le poing du jeune homme s’écrasa sans violence contre son épaule. Avant de subir une salve d’injures en représailles, il prit les devants. Alors que Phoebe ouvrait la bouche, la délicatesse d’une pâtisserie attira son regard. « Tu as sorti le grand jeu. Encore un peu, et je pourrais croire que tu veux me mettre dans ton lit, comme les filles du Marché. » Haussant les sourcils, elle le regarda étaler des couvertures pour les protéger de la dureté de l'argile. Où diable avait-il déniché tous ces objets ? Enjoué, il s’inclina devant elle et lui désigna leur salon improvisé. « Si Madame veut bien se donner la peine... »