Créateur Admin
Messages : 52 Date d'inscription : 02/06/2017
| Sujet: Au commencement. [Orphée] Jeu 19 Déc - 12:16 | |
| Le Conte des Origines La naissance de ce monde fut l'apogée des ambitions d'un Homme qui avait oublié qu'il en était un. Du chaos, il dévoila le visage timide de l'espoir et s'attacha à la plus grande de ses oeuvres : la Création. Témoins d'une réalité qui devint illusion, les Hommes d'autrefois renoncèrent à leur héritage en perdant leurs souvenirs pour revenir à la vie. Lointain fantôme, la mémoire emporta avec elle la civilisation. Sur la page désormais vierge de l'existence, le nouveau Dieu révéla sa légende.
~ . ~
Il était une fois un homme qui coulait des jours heureux auprès de sa promise. Enfant de roi, Orphée fascinait les siens de sa mélodie et de ses mots. Pas une heure ne passait sans que de ses lèvres ne s'élèvent quelques notes ; pas une nuit ne voyait la Lune s'effacer sans que ses doigts ne gravent des délices sur l'argile. Insensible aux charmes matériels, il paraissait flotter sur le monde comme un mirage, exalté d'honorer les Arts, apaisé de servir les Vivants. De sa voix, il parvenait sans peine à émouvoir hommes et bêtes, et la paix revenait dans son sillage. À ceux qui abusaient des merveilles de la Terre, il conseillait d'expier ; aux autres de chanter. Chacun admirait sa bienveillance ; d'aucuns prétendaient à voix basse qu'il avait l'étoffe d'un Dieu. Lui ne se souciait de rien, ni du pain, ni des jeux, occupé seulement à adoucir la vie. Eurydice seule faisait quitter sa lyre à Orphée.
Un funeste après-midi, la Nature prit sa revanche sur celui qui la domptait. Lors d'une paisible promenade en forêt, sa bien-aimée fut mordue par un serpent. Malgré ses supplications, les Dieux permirent au venin de ravager son coeur, et la belle Eurydice mourut entre ses bras impuissants. Terrassée par le chagrin, il lui offrit des funérailles grandioses. La Ville toute entière plongea dans le deuil, et des accords funèbres envahirent les rues. Inconsolable, l'époux perdit toute passion, et tout en lui se mit à dépérir. Navré de le voir ainsi, le Destin eut un caprice et lui fit entrevoir en rêve l'entrée du Monde des Morts. Troublé de sa vision, l'amoureux ne tarda pas à s'égarer sur les rivages maudits de ce royaume d'où il ne reviendrait pas. La mort ne lui importait guère ; sans le regard tacheté d'étoiles de sa promise, il ne vivait déjà plus.
Une intuition cependant le poussa à défier le maître des Enfers. Préservé de tout effroi et de toute rage, il en éblouit de sa voix les gardiens et parvint jusqu'à lui. Les yeux tournés vers le fleuve des Âmes, il énonça sa requête en une oraison mélodieuse, cherchant parmi les défunts le visage d'Eurydice. Nul autre son ne s'éleva des profondeurs, comme si les esprits eux-mêmes s'attendrissaient. Parce qu'il connaissait bien les tourments de l'amour, le Dieu accorda une faveur qu'aucun homme jusque-là ne lui avait arrachée. Malicieux, il ne pouvait néanmoins faire le cadeau d'une âme à un mortel ; il exigea un sacrifice en apparence insignifiant, qui le soumettrait à bien des tentations. "Avance jusqu'aux lueurs du monde sans te retourner. Alors, elle sera tienne à nouveau." Ainsi béni, Orphée s'inclina face à la générosité divine et entreprit son périple.
Lui qui n'avait jusqu'alors jamais été soumis aux déboires du Temps fut saisi de son emprise. Chacun de ses pas lui semblait prendre une éternité, et s'il savait que la lumière se rapprochait, il sentait qu'il ne l'atteindrait plus. Un curieux phénomène endolorissait ses muscles, ralentissant ses mouvements. Une dévorante envie de la regarder le tenaillait. La démarche gracile d'Eurydice dans son dos le réconfortait ; bientôt, il pourrait la tenir contre lui. De boussole, sa pensée devint obsession. Mu par un désir qui assourdissait sa raison, il accéléra le rythme. La sensation étrange que l'air s'échappait de ses poumons pour nourrir les morts lui donnait envie de hurler. Il n'existait qu'un remède à ses maux : son sourire. Le silence autour de lui l'inquiéta soudainement. Effrayé, l'homme commit l'irréparable et jeta un regard en arrière. Sa belle bascula vers les ténèbres.
~ . ~ Du malheur surgit néanmoins la Création. Dans sa chute, Eurydice ne tendit pas la main vers son promis. Le visage blême, ses phalanges de fantôme désignèrent un parchemin qui paraissait avoir été oublié de tous. La poussière en couvrait tendrement les pages, et l'encre se desséchait sous les assauts de la Lune. Des symboles étranges se disputaient à sa surface, comme une invitation. La rage guida la main d'Orphée : le Livre fut déchiré. Le silence s'empara du monde.
| |
|